top of page

Embarqués sur frêle esquif...

C'est avec une certaine fébrilité que je m'éveillai en ce lundi matin, premier jour de ma semaine de congé. J'avais réservé une embarcation pour deux l'avant-veille et c'était le grand jour de pêche tant attendu. Cela faisait 6 ans déjà que je me promettais de pêcher cette rivière si intrigante, la Missisquoi. Enfin, j'allais l'explorer avec mon comparse de pêche de toujours, Maxime, lui étant aussi fou que moi. Après un tour au magasin grande surface pour un achat de waders et de mouches de dernière minute (je ne conseille pas ce genre magasin à personne pour acheter des waders ou des mouches, mais quand la nécessité vous tient et que c'est le seul magasin sur votre chemin, vous y aller en priant que l'équipement proposé ne s'effrite pas au bout de quelques heures...) nous prîmes la route qui nous mènerait de l'autre côté des Monts Sutton, dans la vallée où serpente la Missisquoi.

Une journée difficile pour la pêche s'annonçait. La veille, un déluge s'était abattu et avait gonflé d'un pied la ligne des eaux tout en brunissant son cours de sédiments et d'alluvions, mettant en suspension dans la rivière d'incalculables quantités de nourriture pour la truite: nymphes, vers, poissons étourdis, proies faciles pour des Brunes aguerries et à l'affût. De plus, la météo promettait un ciel ensoleillé et un vent soutenu. Bref, probablement les pires conditions que nous pouvions souhaiter. Qu'à cela ne tienne, j'avais réservé un canot et, même si nous n'étions pas encore certain qu'il y ait du poisson dans ces eaux (nous sommes toujours en mode recherche et exploration), nous avions espoir de prendre un salmonidé.

Notre ardeur fut alimentée de manière inattendue par la rencontre d'un sympathique octogénaire originaire de la Côte-Nord; Monsieur Déry. Un homme qui avait pêché, cela se voyait au premier coup d’œil. Dans un langage qui égailla nos sens de moucheurs, il nous décrivit un portrait de sa rivière d'adoption. Brune, rouge (lire mouchetée), arc-en-ciel, l'endroit était peuplé de nos poissons cibles. De quoi nous requinquer, si cela était nécessaire. Nous explorâmes donc le début du trajet, consciencieusement, méthodiquement, lançant nos sèches avec espoir d'éclaboussures, ces déclencheurs de flux d'adrénaline.

Première anecdote de la journée: Maxime et sa boîte à mouches connurent une séparation. Je dois avouer avoir rigolé un peu en voyant Maxime à une trentaine de mètres devant moi, tentant un passage qui me semblait plutôt ardu. En effet, un fort courant poussait vers une roche saillante et je crois que Max voulait s'y percher pour travailler le remous que cette même roche produisait. Ce faisant, une fosse surprise fit en sorte que Maxime se trempa la moelle, l'eau débordant les rebords de ses waders. Un petit cri me confirma que l'eau était bien froide. Je me retint de pouffer outre mesure, d'autant plus que la boîte à mouche de mon collègue s'était fait la malle durant le processus, sa flottabilité l’entraînant dans les flots.

Nous décidâmes alors de nous embarquer et de descendre un peu plus sur la rivière, question d'explorer cette inconnue, quitte à revenir aux spots intéressants plus tard en journée. Ainsi voguions nous, deux hommes sur un bateau, jusqu'à ce que Maxime propose un arrêt obligatoire. Il y a sur toutes les rivières, un ou des endroits qui imposent de s'y arrêter. C'est un spot qui combine souvent 2 ou 3 caractéristiques donnant lieu à penser que des truites y sont établies. Un arbre en surplomb, un amas rocheux, un étranglement du courant principal, une fosse recueillant deux ou trois langues de courant, les combinaisons sont aussi diverses qu'uniques. C'est justement ce que nous avions devant nous : une langue de courant allant en ralentissant puis en s'accélérant quelques mètres plus loin, signe presque officiel d'une fosse, le tout surplombé par une végétation mature de merisiers, pruches et autres érables. Le courant épousait la courbe créée par la berge opposée, berge constituée d'une formation de roche sédimentaire dénudée à sa base. Un de ces spots, comme je l'ai dit, où une lumière doit s'allumer dans la tête du pêcheur, sous peine de rater une bonne prise.

Nous accostâmes donc notre canot sur la berge opposée au spot et nous nous mîmes à travailler la zone, Maxime à la sèche, moi au woolly bugger. C'est alors que les propos de M. Déry nous revinrent : quand la rivière est sale et haute, il faut taquiner la truite, lui envoyer la mouche encore et encore pour lui faire perdre patience. Après quelques titillements de ouitouche, j'eus une première «vraie» touche. Maxime l'avait vue comme moi; c'était une truite brune. Quelle excitation, quelle décharge se fit en moi. J'étais, tout comme le poisson, mordu. Je changeai de mouche après quelques lancers infructueux, enfilant une grosse nymphe de plécoptère et la laissant dériver dans le courant. Fish On! Aux premiers coups de tête, je savais que j'avais au bout de la ligne ma première truite brune. 8 pouces, pas de quoi casser des briques, mais sur une rivière inconnue, toute truite est bonne à prendre.

C'est ce qui est le plus merveilleux dans l'exploration, le fait que nous émettions l'hypothèse que le poisson est là, que nous ajustions nos tactiques pour le débusquer et que ça finit par marcher. Oui, j'aurais crié plus fort si ce magnifique spécimen avait été plus long de 10 pouces, mais le sentiment premier, le sentiment de rassembler les pièces du casse-tête pour les combiner et arriver au final avec la confirmation de l'hypothèse, c'est indescriptible et c'est une vrai drogue.

Maxime tenta aussi sa chance, comme c'est de coutume: chacun son tour. Il réussit à ferrer un ouitouche de taille inhabituelle. Nous étions heureux, il y avait du poisson. Même dans les pires conditions, en plein midi, nous avions sorti une truite. Après discussion, la pause dîner fut décrétée un peu plus en aval sur la rivière (nous descendions le courant) et notre bouteille de blanc fut d'une douceur des plus agréables.

Après donc un arrêt bien mérité, notre plan fut établi : descendre la rivière le plus rapidement possible, nous arrêtant seulement aux endroits les plus propices, pour remettre le canot et revenir pêcher en soirée à notre spot non loin du point de départ et ainsi être à l'affût des gobages.

Ahh... les gobages, seuls indices visuels de la présence de nos salmonidés favoris. En effet, la truite est invisible, sa robe étant parfaitement agencée au fond du cours d'eau où elle se trouve, se cachant, vive comme l'éclair, au moindre mouvement, au moindre bruit suspect. Rien ne trahis sa présence, sauf lorsqu'elle s'aventure à jouer les fines bouches et se fendre de quelques insectes en surface, délicieuses protéines inoffensives et impuissantes. Mais avant de rendre notre esquif, le sort, qui avait ouvert un crédit sur mon ami Maxime, dut payer son découvert. Au détour d'un méandre, dans un tourbillon d'eau stagnante, de branches, de mousses et de feuilles, la petite boîte à mouches perdue fut retrouvée, intacte, pas une mouche en moins. La rivière à des tours qu'elle seule connait.

Après un souper (de fish'n'chip bien sûr) au restaurant le plus proche, nous retournâmes, l'esprit plus obsédé que jamais, au spot de la première prise. Il nous en coûta une petite demi-heure de marche, parfois dans l'eau, parfois dans un labyrinthe de fougères, d'ortie et de tiques porteuses de la maladie de Lyme, terreur ultime de Maxime. Enfin arrivés, c'est l'attente. L'attente, l'oeil, sérieux, fixé sur la rivière. Chaque pied carré de surface est passé au peigne fin, comme un radar fiévreux de percevoir, enfin, une gerbe de lumière émanant de l'oscillation de l'eau, résultat d'un gobage tant convoité.

Était-ce l'heure qui n'était pas suffisamment avancée, ou bien les orages de la veille avaient-ils mit en suspension dans l'eau assez de nourriture pour un festin incognito, probablement les deux, car nous ne vîmes aucun cercles concentriques trahissant la présence du poisson. Pourtant, une magnifique éclosion d'éphémères était en cours, doublée d'une apparition de trichoptères noires, minuscules et innombrables, dans un ballet étourdissant et sans fin.

Nous péchâmes donc, Maxime à la sèche (son arme de prédilection) et moi au woolly bugger (mon arme de prédilection). Nous péchâmes pendant une heure environs, sans touche aucune. Juste en amont de notre spot, la rivière décrit une large courbe, creusant un tombant à pic au pied de la berge de terre érodée. Maxime alla y tremper sa mouche et je m'avançai à l'endroit qu'il venait d'abandonner; un flat profond de 2 pieds et large d'environs une quinzaine, flanqué d'un bouleau jaune retombant, son flot lisse déchiré en un seul endroit. Un roche submergée créait un remous dans l'eau, seul zone intéressante de la fosse. En deux ou trois lancers dans le remous, mon streamer fut happé par un poisson vorace et puissant pour sa taille: ma deuxième truite brune à vie.

Juste le temps de la prendre dans mes mains préalablement mouillées et de lancer la canne sur la berge, que je criais déjà à Maxime toute ma joie. Encore une fois, pas un monstre, mais un bon 10 pouces de belle truite. Ma joie fut vite teintée, teintée au rouge du sang qui s'échappait de la lèvre de ma pauvre truite. Mauvais ferrage, bon repas. Décidément, ce fut une journée de première pour moi. Maxime et moi convînmes que cette truite allait égayer nos papilles, au lieu de risquer de la voir flotter sur le dos, quelques dizaines de pieds plus loin sur l'eau.

C'est en la dégustant que nous nous promîmes de revenir pêcher ici, dans de meilleures conditions et de débusquer les parents de cette magnifique truitelle. Même après 13 heures sur l'eau (et seulement 2 prises, je le concède), nous rêvions de revenir au plus vite, dans ce pays de montagne et de verdure, mouiller nos waders et prendre nos mouches dans d'innombrables branches, afin de peut-être encore une fois sentir sur la canne les coups de têtes véloces et poser nos yeux sur ces bêtes splendides, grandes brunes aux robes iridescentes...


bottom of page