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Derrière chez nous y'a une rivière


Le bassin versant de la Yamaska s’étend sur une superficie de 4780 mètres carrés. La majorité de notre pêche se fait cependant dans sa zone méridionale composée des sections de la Haute-Yamaska et de la Brome-Missisquoi. Bien que la rivière Yamaska coule jusqu’au fleuve Saint-Laurent, nous concentrons plus souvent nos explorations sur ses deux affluents situés les plus en amont : La Yamaska et la Yamaska Sud-Est. Bien que les eaux du bassin versant figurent parmi les plus polluées du Québec, les deux branches sur lesquelles nous pêchons sont les seules à offrir une qualité d’eau satisfaisante. Le terme est celui de l’organisme du bassin versant lui-même. ‘’Satisfaisante’’, selon son système de gradation de qualité d’eau, est en fait l’échelon situé juste au-dessus de ‘’douteuse’’. Quand même, la notice est accompagnée d’une pastille verte et cette couleur doit vouloir dire, selon les croyances populaires, que tout danger est exclu et que, pour autant que la teinte ne vire pas au jaune ou au rouge, une truite serait censée pouvoir s’y conformer et être en mesure de nager dans l'eau sans courir trop de risques.

Si je commence à fouiller partout pour trouver ce genre d’informations techniques, c’est parce que, vous me voyez venir, je cherche une façon de m’expliquer la raison pour laquelle je suis revenu bredouille de mes dernières sorties. Pire que cela, je ne vois presque jamais de gobages, je ne sens pratiquement pas de touches et je commence à douter sérieusement d’une quelconque présence de truite dans la majorité des eaux que j’explore. Je n’ai croisé, par ailleurs, aucun autre moucheur que Martin sur les rivières et les ruisseaux depuis que j’y pêche cette année. Il est vrai que mon ami et moi avons réussi à prendre quelques brunes et mouchetées, et même de très jolies, depuis le printemps, mais à mesure que l’été s’installe et que le niveau de l’eau baisse, les poissons semblent se faire extrêmement rares. Les truites, du moins. Pourtant, plus de 180 000 poissons ont été implantés, par des ensemencements ponctuels, dans le simple lac Davignon durant les trente dernières années. Il n’y a pas si longtemps, 8000 truites ont été induites dans la Missisquoi en deux ans. Des pêcheurs du coin ont eux-mêmes apportés plusieurs milliers d’alevins dans la Rivière-Aux-Brochets aux tournant des années 2000. Ou sont passées toutes ces truites ? Est-ce qu’il existe vraiment une possibilité d'en prendre au sud des Cantons-de-l’est ? Parfois, je me retrouve devant un spot qui me semble idéal, un pool juste assez en retrait des routes pour pouvoir cacher une ou deux truites tranquilles, mais ma mouche n'y subit aucune attaque.

Des carpes muettes et suspectes

Il nous arrive, à Martin et à moi, d'émettre des hypothèses par ci par là pour tenter de trouver des explications. La dernière était celle de la présence de plus en plus grande de carpes communes, appelées aussi carpes allemandes. En plus d'être une forme de bio-indicateur de la pollution des eaux ( elles sont relativement tolérantes à plusieurs formes de pollution, notamment celle que produit le lessivage de produits agricoles comme les pesticides aux bases organophosphorées et notre pastille verte, celle qui reflète la qualité de notre eau, commence peut-être à jaunir au fil des années ), les carpes se nourrissent, entre autres choses, des œufs d'autres poissons. Donc possiblement des œufs de truites. Nous marchons des rivières autrefois réputées comme étant de bons foyers à truites par les vieux pêcheurs locaux et nous apercevons fréquement, avec déception, au creux d'une fosse prometteuse et bien aérée par un petit torrent, les corps cuivrées des grosses carpes qui flânent en aspirant tout ce qui s'apparente de près ou de loin à de la matière organique sur les fonds sableux. Martin lançait l'autre jour, en essayant de trouver une tournure positive à la chose, que si ce sont maintenant les carpes qui habitent derrière chez nous, nous devrions peut-être adapter notre pêche, tenter d'oublier un peu les truites pour tenter d'attraper ces grosses Cyprinus carpio dont la gueule me fait toujours vaguement penser à celle d'Orbie, l'extraterrestre rose d'une émission de ma jeunesse.

Il va sans dire qu'au poids, une seule de ces carpes vaut au moins une bonne douzaine de truites. Il est vrai que le défi peut être envisageable et qu'il sera probablement bientôt relevé. Quand même, tout chez la carpe évoque en moi l'ennui. Vous pourrez dire que je suis un de ces puristes hautains. Peut-être serais-je d'accord avec vous. Je trouve que ces poissons sont lents, ils vivent dans des eaux calmes, beiges et tièdes. Pour les prendre, il faut déposer devant leurs bouches un leurre puant imitant quelque chose de mort. Ce leurre, il ne faut pas trop le bouger. Il faut attendre et, préférablement, trouver un dispositif qui nous aidera à capter la faible touche; soit un flotteur ou un censeur électronique. L'attente, selon les carpistes aguerris, peut durer toute une journée. On doit passer le temps, assis sur une pierre, à lire ou à faire n'importe quoi d'autre que pêcher. Autrement dit, c'est une pêche qui me semble être en tous points contraire à la pêche à la truite. Les aspects qui pourraient m’intéresser dans une telle pêche sont peu nombreux, mais pas inexistants : Je ne cracherais pas sur une prise de vingt livres et ma curiosité ne sera pas comblée tant que je ne saurai pas si un hameçon a le pouvoir de stimuler un nerf dans la bouche de la carpe, celui-là même qui enverra le signal au poisson de finalement déployer toute sa vigueur, d'ultimement crisper ses muscles, qui semblent si souvent au repos, pour tenter une contre-attaque. Je veux savoir si ce poisson peut réagir, si il peut offrir un combat qui me fera dire, à la fin d'une journée de pêche, qu'il y aura tout de même eu de l'action.

Plus j'y pense, moins je suis enclin à accuser les carpes d'être responsables de la raréfaction des truites. Je pense plutôt que leur présence sert d'indication quant à l'état global des cours d'eau. De plus, les pêcheurs du coins ne sont pas nécessairement des adeptes de la remise à l'eau et leurs cuillères, sur lesquelles se tortillent des vers gras et juteux, peuvent avoir un véritable effet magnétique sur les truites. Tout cela reste à prouver. Peut-être aussi que je suis un mauvais pêcheur et qu'il n'est pas nécessaire de chercher plus loin. Je vais quand même continuer de chercher plus loin.

Et dans le but de satisfaire nos envies de truites, nous sommes en train d'envisager une sortie au nord, probablement dans la région du Saguenay. Au moins nous savons que là bas, la truite existe. En attendant, nous devrons continuer d'explorer ce qui nous entoure, les cours d'eau comme les différentes espèces de poissons...


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