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Un royaume vous attend...

Maxime et moi avions pêché une quantité plus que raisonnable de belles truites et l’heure de quitter les boisés d’épinettes sauvages avait sonné. Quand nous sommes sortis du bois pour revenir à la civilisation, notre deuxième arrêt (après la pharmacie) fut au magasin de mouches local pour connaître un autre spot.

- Avez-vous déjà pêché dans le fjord?

Pêcher dans le fjord. C’est comme si une chose si évidente, une chose si naturelle qu’elle en semble banale se mettait à clignoter dans votre tête, tel une enseigne de néon en lettres majuscules. Le fjord. Nous n’y avions effectivement pas pensé du tout. Il était pourtant là depuis notre arrivée au Saguenay, omniprésent dans notre esprit (et dans notre visage!), comme un point d’exclamation à tout ce phrasé lyrique de nature sauvage. Tout le contraire de l’Arlésienne; on n’en entend jamais parler, mais il est toujours là et c’est un véritable joyau. Laissons seulement de côté sa beauté pure (ce qui n’est vraiment pas rien) pour parler de l’eau qui s’y trouve. C’est que, voyez-vous, selon la profondeur à laquelle on trempe notre bout de ligne, on passe de l’eau douce à l’eau salée. On peut y compter une soixantaine d’espèces de poissons pouvant se trouver à la surface, dans les fosses qui peuvent atteindre 275 mètres de profondeur, ou n’importe où entre les deux. C’est donc une chose à la fois excitante et un peu intrigante que d’y lancer sa ligne.

Maxime et moi hésitions, car nous n’avions emmené qu’une canne chacun et qu’elle était conçue pour pêcher les petites truites en rivière. Mais comme une formule magique fait bouger les choses, d’entendre le vendeur prononcer les mots «Bar rayé» et «Truite de mer» nous fixa immédiatement; nous irions pêcher le dans le fjord. Après tout, il n’y aucune meilleure histoire à raconter que la fois où vous pêchiez dans le fjord avec Boisvert et qu’un bar rayé de huit livres à fait explosé votre canne de soie 4 en un puissant saut d’un mètre de haut. Ça vaut en fait plus d’une canne neuve.

Avec une dose d’énergie renouvelée, ainsi qu’un autre 50$ de mouches neuves (ils nous saigneront jusqu’au dernier sesterce!), nous nous trouvions à la Flèche à St-Fulgence. Un demi-kilomètre de marche s’étendait entre nous et le meilleur spot, ou un autre tandem de pêcheur lançaient leurs devons sur des poissons qui sautaient à quelques mètres du bord. Bon, je dois dire ici que ces poissons étaient ÉNORMES! Et ils sautaient, là devant nous. Le double expresso court que j’avais bu avant de partir me parut avoir un effet si dilué à ce moment, comparé à l’effet que me firent ces sauts. Maxime passa tout de suite à l’action et je choisis plutôt de retourné à la voiture (une bonne vingtaine de minutes de marche) pour faire la seule chose qui m’apparut sensée : récupérer mon bas de ligne de 15 livres.

Après de nombreux lancés infructueux, lancés qui, bien qu’ardus à effectuer étant si longs et propulsant de si grosses mouches, furent accomplis tant bien que mal et réussirent à placer nos mouches juste sous le nez des poissons, nous avons pris un moment pour réfléchir. Nous étions clairement à la fin de quelque chose, point de vue marée, mais nous n’en savions pas tellement à ce sujet. Semble-t-il que la marée influence grandement la qualité de pêche sur le littoral et dans le fjord, avec des pointes d’activité des poissons juste avant que la marée soit totalement haute et juste avant que la marée soit totalement basse, avec une activité plus intense à la fin de la marée montante. Nous étions plutôt au début de la remontée, pas de bol. Je dis «pas de bol», ce n’était pas la vérité. Nous avions en fait une chance inouïe de nous trouver à cet endroit précis, à ce moment précis. Le soleil se couchait, la brunante allait nous offrir sa palette de couleur, surement volée dans la besace d’un peintre impressionniste. L’air était subtilement salin, un léger vent soufflait et nous étions là, sur des rochers qui passent leur vie comme des amphibiens, à lancer notre mouche dans le fjord. Il y a franchement pire.

Nous n’avons pas pris de poisson cette soirée là et, après une nuit de sommeil de qualité et un déjeuner vegan sublimissime chez notre ami P-O, nous foulions encore le sable de la flèche en direction des bancs de bars rayés qui nous attendaient certainement. J’avais déjà vécu une marée montante, au Bas-St-Laurent. C’est un phénomène assez impressionnant, surtout quand vous pêchez en waders et qu’après quelques lancers, vous délaissez un peu la pêche pour vous rendre compte que la pointe de roche ou vous trouvez est maintenant recouverte de deux pieds d’eau. Les poissons étaient au rendez-vous, mais semblaient dédaigner nos mouches. Ils s’en allèrent plus loin du littoral, ou une lame de courant leur procurait surement des milliers de petits poissons fourrage en détresse, proies autrement faciles qu’une drôle de bête de poil qui file à toute vitesse vers le bord.

Je lançais tout de même, un peu machinalement, quand une idée me vint à l’esprit. Qu’arriverait-il si j’en ferrais effectivement un? Deux hypothèse m’apparurent d’emblée. Premièrement, ma canne me serait arrachée des mains, sans que je puisse faire quoi que je sois, sans même que je réagisse. Je resterais là, quelques secondes, pouffant de rire, regardant mes mains ouvertes dans lesquelles une canne se serait trouvée quelques instants auparavant. Je me retournerais et marcherais tranquillement vers le rivage pour m’asseoir près de Maxime qui lancerait encore et encore avant de se retourner pour me demander ce que j’avais bien pu foutre de ma canne. La deuxième option était celle où, dans une brutalité de mastodonte sauvage, le poisson prendrait ma mouche, et, avec un seul coup de tête briserait ma canne en deux, dans un grand grincement, un peu à la manière d’un arbre centenaire que la tempête déracine. Le poisson ferait ensuite un saut au large, me montrant sa puissance et sa supériorité d’être sauvage et libre. Maxime me proposa aussi une troisième option. Le poisson prendrait ma mouche et je n’aurais que le temps de crier avant d’entendre un petit «tic!» et de sentir ma soie se détendre, avant de ramener mon bas de ligne cassé en deux. Vous noterez qu’aucune des options n’impliquait d’arriver à effectivement prendre un poisson, le combattre et l’amener sur la berge. C’eût été trop beau.

N’empêche, nous n’avons vu personne attraper quoi que ce soit durant cette séance à la Flèche. Pas même les trois types qui pêchaient au ver et à la cuillère qui, généreusement, invitaient Max à lancer sa mouche dans leur zone quand un poisson gobait en surface. Le fjord nous a vaincus cette fois là. Je n’avais jamais pêché une étendue d’eau aussi grande, aussi sublime. Ce fut un délice de s’y retrouver, le corps à moitié submergé, à lancer vers les collines vertes, devant les montagnes bleues plus loin là-bas, vers le fleuve.


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