top of page

De la solitude des ruisseaux

Les gens qui me connaissent savent que je suis pêcheur à la mouche et ils me demandent souvent, me voyant revenir d’une sortie, waders humides pliés, si j’ai attrapé du poisson. La réponse est, à ce stade de mon éducation, parfois oui et un peu plus souvent non. On me raille quelque peu et l'on s’étonne de me voir acquérir toute une panoplie d’équipement, de mouches et autres items sans toutefois obtenir de résultats satisfaisants. Ici, une question s’impose pour l’initié, mais la chose est peut-être moins évidente d’un œil extérieur : qu’appelle-t-on un résultat satisfaisant? J’imagine qu’il y a autant de réponses qu’il y a de pêcheurs. Pour ma part, il est clair qu’une sortie sans poisson n'est pas une sortie ratée.

À ce stade de ma carrière de pêcheur à la mouche (petit gloussement de ma part), je n’ai pas le loisir de m’asseoir sur quelques lauriers que ce soit, ni même de molester aucune paire de bretelles. J’explore, je traque, je découvre et tout cela prend du temps. Parfois, je trouve une rivière sur la carte, promptement je m’y rends, et j’essaie d’y pêcher. Facile, direz-vous, mais il y a ici plus à faire qu’il n’y parait. Tout d’abord, cette rivière (ou ruisseau, lac, étang, etc.), je l’ai trouvée d’une façon ou d’un autre. Cela va du bouche-à-oreille à de longues recherches sur des cartes. Il faut ensuite s’y rendre, donc trouver le chemin le plus pratique (pas toujours le plus court) et arrivé sur place, avoir un endroit pour garer la voiture, enfiler ses waders et monter sa canne. Puis, reste le paramètre hasardeux : la pêche en soi. Parfois des informations ont percolé à travers une conversation à propos des meilleurs spots à prospecter, mais d’autres fois (la plupart du temps pour moi en fait) je dois me débrouiller avec le peu de jugeote que peut posséder un jeune pêcheur enthousiaste. Autre option possible, je rencontre d’autres pêcheurs sur place, ce qui est rare, mais il y a encore plus rare; rencontrer d’autres moucheurs. Je ne sais pas où ils se cachent, peut-être en ces destinations huppées avec grosses truites, gros saumons ou gros bars comme pièce de résistance.

Sans dire que je préfère pêcher seul, cela me convient parfaitement quand je vais en ruisseau. Comme chantait Georges Brassens ‘’l’obélisque est-il monolithe, oui ou non?’’. En fait, la seule autre personne avec qui je peux pêcher tout en me disant que je pêche seul est Maxime, mon partenaire de mouche de toujours (Bon, nous avons commencé il y a quatre ans, mais vous n’allez pas pinailler, si?). Nous pêchons seuls, à deux. Sinon, j’aime bien être vraiment seul; vous pouvez prendre le temps que vous voulez pour choisir une mouche, choisir une cible, choisir un angle de lancer. Vous avez même le temps d’oublier que vous êtes en train de faire quelque chose. Vous devenez passif, comme le caillou derrière vous. Pêcher seul, c’est pêcher pour soi. Cela peut sembler banal comme affirmation, comme quoi tout le monde pêche pour soi, mais je ne peux m’empêcher de croire que l’on devient, ne serait-ce qu’un tant soit peu, ‘’m’as-tu-vu?’’ dans notre façon d’agir quand on pêche en présence d’autres gens. Les lancers sont un peu plus polis, accompagnés éventuellement d’une petite grimace, que l’on fait peut-être aussi en étant seul, mais dont on ne se rend compte qu’en présence des autres.

C’est pourquoi, pour le moment, la solitude me convient et pour pratiquer mon sport en solitaire, rien de mieux qu’un ruisseau. Ah, oui, un ruisseau vous garanti presque d’être le seul à y pêcher depuis longtemps, sinon jamais. Je vous parle ici d’endroits qui, dans le bassin hydrique où je me trouve, ne figurent sur les cartes que par le truchement d’une fine ligne bleue discontinue, à peine visible parfois. Ce sont ces ruisseaux qui sont tributaires des rivières en aval, comme les radicelles nourrissent les racines des arbres majestueux. Seulement, ces ruisseaux aussi sont souvent majestueux, tout autant que les étendues d’eau qu’ils abreuvent. Ces ruisseaux, que je caractériserais ici, pour donner un ordre de grandeur, comme étant assez étroits pour aisément y couvrir les deux berges en lançant à partir de l’une d’elles et assez haut de fond pour y pêcher à gué sur toute sa superficie, exception faite des fosses, bien sûr. Ses rives sont souvent des parois abruptes, zébrées de strates sédimentaires, moussues et humides. Au sommet des parois, on voit la mince couche d’humus que la forêt produit, année après année, et l’enchevêtrement des racines qui sortent et entrent dans la terre. On dirait qu’elles ont poussé sans se rendre compte qu’elles allaient vers le vide, puis ont subitement reconnu leur erreur, ou bien est-ce plutôt le sol qui s’est dérobé autour d’elles, érodé par ce même ruisseau. L’eau est aussi souvent d’une teinte de thé noir, une teinte tannique, qui donne un aspect cuivré aux flots et un reflet jaune aux zones de remous, un jaune qui s’apparente drôlement aux teintes de la truite brune, je dis ça comme ça.

C’est du moins à quoi ressemblent la plupart des ruisseaux de ma région. Oh, il y en a bien quelques-uns qui laissent aller leurs méandres dans les champs, se laissant border de quelques aulnes, bouleaux ou saules, mais ceux-là sont rares dans mon coin de piémont. Et les truites s’y font encore plus rares. Vous pouvez y prendre des poissons blancs et parfois, tout étonné, vous ferrez une perchaude trop curieuse. Très rarement vous y faites monter une brune sur votre sèche, mais quand ce moment arrive, le type de ruisseau et d’arbres qui le ceinture sont totalement accessoires. Mais ce qui compte vraiment, quand je vais pêcher en ruisseau, que ce soit en terrain montagneux ou non, c’est la solitude, ou pas tout à fait. Ce qui compte vraiment, c’est de se trouver seul, dans la nature, entouré d’arbre, d’air et d’eau. Les insectes tourbillonnent autour de vous, le soleil crée tantôt une lumière, tantôt une ombre et vous respirez un air si empli d’odeurs que les seuls mots qui vous viennent pour les décrire sont forêt humide. Le temps s’arrête, vous aussi. Si vous êtes prévoyant, vous avez dans votre besace de quoi faire un petit thé. Vous pêchez méthodiquement les meilleures zones, mais aucune frénésie ne s’empare de vous. Vous pourriez pêcher une mouchetée de 3 livres que vous n’en seriez pas plus ému, car c’est l’endroit, le moment qui est émouvant.

En fait, plus j’y pense, plus je crois que c’est vraiment quand je suis seul en ruisseau que les choses sont dans l’ordre. Pourquoi? C’est ce à quoi je pense tout le temps en pêchant, pas vous?


bottom of page