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On ne badine pas avec la truite

Je ne suis pas tout à fait un suiveur, ni tout à fait un pionnier, dans ma façon de voir les choses. Je veux dire par là que, si quelque chose m’intéresse vraiment, et si ce quelque chose est de pêcher la truite à la mouche, je vais tenter ce qu’il faut pour y arriver. Que ce soit de risquer de me fendre la crâne (ou pire, ma canne) sur des rochers pentus et acérés pour atteindre un beau spot ou bien de surfer dans les eaux troubles de la faille du règlement. Bon, j’ai la conscience tranquille, de toute façon, je relâche tous mes poissons, qu’ils soient pris dans les périodes permises ou non.

N’empêche, je ne peux que ressentir un petit malaise à l’idée de rencontrer un agent de la faune, l’eau aux genoux, en train de pêcher une nymphe dans une eau froide de fin de saison et l’entendre me demander ce que je pêche.

- Il y a de très beaux achigans ici au printemps, je me suis dit, tiens, peut-être qu’à l’automne…

Et lui de répondre :

- Avec une nymphe de 14?

Bon, cette discussion n’est que hautement hypothétique. Je n’ai, en 5 années de pêche à la mouche, jamais rencontré d’agent de protection de la faune. Jamais. Et je trouve ce fait déplorable. Ces gens font un travail ultra important et ils le font dans l’ombre. Le braconnage est une plaie, que ce soit pour la chasse ou la pêche. Je ne parle pas ici des plaisanciers qui chassent ou pêchent sans trop savoir ce qu’ils font (même si nul n’est sensé ignorer la loi) ou de ceux qui le font pour se nourrir. Je parle du braconnage mercantile qu’on retrouve trop souvent, surtout à la chasse, du moins dans notre région. Plus de gardes-chasse, s’il vous plait!

Bref, tout cela pour amener au fait que la saison de la truite est officiellement terminée dans ma zone, comme dans la plupart des zones, sinon toutes. Et c’est un peu stupide et dommage, car juste au sud de nous, le Vermont permet la pêche à la truite toute l’année et que nous avons plusieurs cours d’eau en commun. Cela dit, la pêche à l’achigan est encore ouverte dans ma zone. Il m’est donc légalement permis de pêcher l’achigan et de prendre, par erreur bien sûr, une truite. Il est de mon devoir de prestement la relâcher, de pêcher sans ardillon et avec une puise aux petites mailles en coton.

Je ne peux pas pêcher l’achigan dans une eau qui n’est pas reconnue pour en contenir, par contre. Donc, si mon but caché est de prendre de la truite, je dois le faire en des eaux où un doute raisonnable existe quant à une cohabitation achigan-truite.

La question ‘’légale’’ étant réglée, reste la question ‘’morale’’, qui elle, est de nature beaucoup plus flexible que sa consœur juridique. Est-il bien moral de vouloir pêcher l’achigan tout en espérant prendre une truite? Ici, je me permets d’exposer, à nouveau, les raisons qui me poussent à me lever au petit matin, ou à me coucher à ces mêmes heures, et aller tremper ma soie en des eaux qui font se sentir tout petit. Je pars du principe que je ne pêche pas pour me nourrir et que la truite dans les Cantons-de-l’Est est si rare et si précieuse qu’il ne me viendrait pas à l’idée d’en tuer volontairement. Il m’est arrivé de manger le fruit de ma pêche, mais uniquement parce que le poisson était blessé et que sa remise à l’eau ne semblait pouvoir résulter qu’en une masse blanche, inerte, flottant au gré des courants. Sans vouloir en rajouter, j’ai encore des remords de ces festins certes délicieux, mais tout de même un peu tristes.

Mis à part ces poissons blessés, il n’est pas question de tuer ou garder une truite prise dans les Cantons. En fait, sauf en pêche blanche, je remets tous mes poissons à l’eau, truite ou pas. Point. Mais est-ce bien moral? Pour revenir sur ce que je disais au départ, je ne suis pas particulièrement ce qu’on pourrait appeler un fonceur, non plus que je sois un suiveur. Je suis plus du type qui ne fait pas trop de bruit, sauf quand une chose l’intéresse. Si je veux vraiment cette chose (et la route peut-être longue pour déterminer si je veux vraiment cette chose) je vais mettre en œuvre ce que je peux mettre en œuvre pour l’obtenir. L’année dernière, je ne connaissais pas de spot à truite dans ma région : j’ai sorti ma canne et mes waders et j’ai pêché, pêché, pêché et j’ai trouvé. Cette année, je découvre qu’il est non seulement légal de prendre des truites par accident, mais qu’en plus, elles sont de retour dans nos rivières à l’automne. Je dis qu’elles y sont de retour, mais je ne crois pas qu’elles ne les aient jamais quittées. Elles redeviennent simplement plus actives avec le retour de la fraîcheur d’automne et aussi avec les pluies qui redonnent une certaine pudeur aux rivières desquelles on pouvait voir des parties qui seraient normalement restées cachées sous les flots.

Alors, est-ce bien moral? Je ne me pose plus la question, j’ai la conscience tranquille et je ne raterais pour rien du monde l’occasion de sortir pêcher à l’automne. Les ardillons de mes mouches sont tous enlevés, j’enfile un pull de plus, des bas plus chauds, je m’enfonce dans l’eau, encore couverte de brouillard et je profite de l’automne en faisant ce que j’aime le plus : pêcher.


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