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Entre la glace et l'étau

Mère Nature semble vouloir effacer toute trace de neige le plus vite possible, comme si après chaque bordée, elle avait honte de ses flocons. Il pleut, il fait 15 degrés, c’est le 25 février et je n’y comprends rien. J’ai dans la tête toutes sortes de chiffres qui tourbillonnent, allant de la moyenne des températures depuis 150 ans pour février, aux débits annoncés des rivières du coin, en passant par l’albédo moyen qui rapetisse et les données sur El Niño et La Nina, ou l’inverse, je ne sais plus. Ce qui est vraiment important, c’est que j’aurais dû pêcher hier et qu’aujourd’hui, les rivières débordent. J’ai bien merdé sur ce coup-là. Peu importe, je n’ai, jusqu’à maintenant, pas eu tellement de succès avec la pêche hivernale (si on peut encore appeler ça de la pêche hivernale quand vous sirotez un pastis sur le balcon en manche courte) et j’ai décidé d’arrêter de m’en faire avec les occasions de pêche entre décembre et mars. Il y a deux raisons à cela. La première, qui est tout de même intimement influencée par la seconde je dois avouer, c’est qu’on se gèle dans une rivière l’hiver. La seconde, c’est que je ne suis pas encore un pêcheur assez sûr de moi pour pouvoir me permettre quatre sorties infructueuses d’affilée sans en garder quelques séquelles mentales. Alors, juste au moment où ma confiance commençait à être entamée, j’ai pris sur moi d’arrêter de me ronger les ongles dès qu’on annonçait une journée de soleil et un mercure au-dessus de zéro.

Grand bien me fit, cette prescription auto-ordonnée coïncida avec l’arrivée par la poste de ma panoplie de montage de mouche. Voilà une activité saine, me dis-je. Passé les premiers essais de pose de dubbing (j’appris qu’une pincée à peine visible suffit), les whips finish catastrophiques et ces foutues ailes qui ne pas veulent se laisser enrouler, je réussis à trouver du réconfort dans ce capharnaüm de plume et de poil ; plumes de queue de faisan et de pintade, hackle de coq brun et grizzly, dubbing gris, olive et Oreille de lièvre, quelques fils, un peu de plomb non toxique, des billes et des hameçons. Ajouter à cela la beauté des outils qui accompagne le tout et surtout, surtout, la chose la plus charmante qui m’ait été donné de recevoir par la poste à ce jour : une face de lièvre complète avec oreille. Je suis presque tenté d’en recommander une pour l’Halloween.

Avec ce merveilleux matériel prend place une encore plus merveilleuse alchimie qui transforme l’inerte en créature délicieusement suggestive, en magnifique pièce de mensonge dédié à berner des truites. Je n’ai pas eu la chance comme Maxime d’avoir un monteur expérimenté pour me montrer les ficelles (littéralement), mais mon vieil ami m’a fait don de deux choses : des hameçons que Monsieur Guy Langlais lui avait refilés en quantité industrielle, semble-t-il, ainsi que sa confiance. Sa confiance que je serais capable de monter une mouche qui ressemble à quelque chose et qui prendrait du poisson. Ma première mouche fut toute symbolique pour moi. Je tentai une oreille de lièvre un peu spéciale que j’avais en tête depuis quelque temps. Elle me prit vingt bonnes minutes à finir.

Je pense aux derniers écrits de Boisvert sur les dires de Monsieur Langlais. C’est vrai qu’on pêche en montant des mouches. On imagine la rivière, le moment. On imagine le lancer, la dérive et, Bon Dieu d’bon sang, on imagine une grosse truite prendre notre mouche! Les quelques mouches que j’ai eu le temps d’assembler m’ont appris beaucoup. Plus que si j’étais allé pêcher? Je ne pourrais l’affirmer. Je peux seulement affirmer que ma table de travail ne gèle pas comme les œillets de ma canne, que mes pieds sont au chaud et sec et que, contrairement à mes sorties cet hiver, je prends du poisson imaginaire. Ah, j’ai aussi une boîte pleine de nymphes et de sèches pour l’été, mais, vous savez ce que c’est, faudra bien que je les essaye tôt ou tard. Tiens, on annonce du soleil et 10 degrés dans deux jours…


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