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Oros

En grec, oros désigne la montagne. L’orogénèse est donc l’ensemble des mécanismes lents qui forgent les reliefs du paysage. Ce soir, j’explorais une nouvelle rivière. Cette dernière trace son lit au creux d'une profonde fissure.

Un géographe (prénommé Pierre, d'ailleurs) m’expliquait qu’il s’agit d’une roche sédimentaire schisteuse et fortement métamorphisée. Des plissements issus des orogenèses appalachiennes. Ce nouveau lexique venait en réponse à mon interrogation. Après lui avoir envoyé la photographie d’un pan rocheux, prise lors de ma dernière sortie de pêche, je lui avais demandé s’il connaissait l’origine géologique de ce que j’avais sous les yeux.

Près de cette rivière, qui s'écoule dans les hautes-terres de Saint-Aubert, je me suis senti particulièrement interpellé par un élément du paysage : la roche.

C’est que si cette rivière n’avait pas été enclavée dans la pierre à une profondeur de dix mètres, elle n’aurait peut-être jamais attiré mon attention. Je me revois passer le pont étroit qui la traverse. Un gouffre. C’est dans un bref vertige qu’elle m’est apparue. Lorsque je suis descendu au littoral, j’ai remarqué que les imposants murs rocheux y concentraient les sons et la lumière.

Les contrastes sont impressionnants ici. Les mouvements lents de la sédimentation sont figés comme des ondes éternelles. Sur l’eau, les courbes sont semblables mais elles changent si vite qu’on ne peut s'en faire un souvenir. Le schiste diffuse ses couleurs jusqu’au fond des fosses et les lignes lyriques de l’eau et de la pierre s’entremêlent; si des truites vivent ici, elles sont certainement parfaitement camouflées. La rivière, pas trop profonde, me permet la traverse à gué assez régulièrement. Les berges sont dénudées, souvent lisses, et le mouvement de ma soie n’est que rarement entravé. Je lance à chaque nouvelle fosse et, parfois, entre les cailloux en plein courant. Un bruant chanteur m'accompagne comme un barde. Dans notre amphithéâtre, son cri résonne. Je remarque ici et là des fleurs d’érythrones, qui sont un peu comme les pissenlits des lieux sauvages.

Les truites ne mordent pas. On dirait que je m’approche trop d’elles. Quand je ne connais pas une rivière, j’ai tendance à trop m’avancer. Je lance en m’approchant des pierres visées. Comme si je voulais voir le fond de chaque fosse, connaître son relief. Après quatre ou cinq lancers, si rien ne mord, je marche jusqu’au fond des trous. Avec mes pieds, je cherche les cachettes potentielles. La rivière étant exposée au soleil, je veux connaître les endroits où le poisson pourra se cacher lorsque je reviendrai pêcher. Comme dit Martin, je lis la rivière en braille. Peut-être un peu trop charnel, pour un premier rendez-vous…

Je m’agenouille en plein milieu de la rivière dès que je prends conscience de mon attitude trop brusque. Plus près de la ligne de l’eau, j’observe. Une fosse se trouve à portée de lancer, juste en aval d’une pointe de roche. Je reste bas, ma canne rase les vaguelettes dans son mouvement de va-et-vient. Lorsque ma mouche se dépose à la fin du remous, et qu’elle coule de quelques pouces, une mouchetée s’en empare. Le coup est sec et le poisson semble lourd. Je mets cinq bonnes minutes à ramener cette truite!

De plus en plus, je tâche de m'en souvenir; l’approche est primordiale. Il ne faut pas s’immiscer trop brusquement chez la truite. Elle est sensible au mouvement, habituée qu’elle est de vivre dans son pays de pierres.


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