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La science extrêmement inexacte de la pêche au saumon

J’aurais aimé dire qu’après des heures de pêche acharnées et des milliers de lancers dans la portion la plus sauvage de la rivière, harassé par la faim, dévoré par des nuées de moustiques et de mouches noires, j’avais enfin réussi à prendre un saumon atlantique, mais la réalité fut tout autre. J’ai attrapé un grilse de 62 cm, dans la fosse sous le pont de la route principale, après 4 heures de pêche seulement. Je crois que je n’ai toujours pas saisi ce qui s’est passé ce matin-là.

Je m’étais fait à l’idée la veille, ou bien était-ce le matin même en me levant, que je n’allais probablement pas attraper de poisson durant ma première fin de semaine de pêche au saumon à vie. Arrivé le vendredi soir avec Maxime à Saint-Siméon encore sous le choc combiné du décalage que procure 8 heures de route (en deux versements de 4, mais tout de même) et de la beauté intrinsèque qu’offre la côte de la Baie des Chaleurs, je me sentais plus qu’apte pour un grand dépaysement. J’étais loin de chez moi pour pêcher une rivière dont je ne connaissais que le nom (et la réputation), j’étais un parfait néophyte de la pêche au saumon atlantique et mon cerveau était un peu abruti par tout ce trajet en voiture. La seule solution possible, selon Guy notre généreux contact sur place, était d’aller prendre un permis au bureau de la ZEC et de se dégourdir les bras et les jambes dans les fosses Green et LaRoche de la rivière Bonaventure.

Mais laissez-moi d’abord vous compter l’histoire à partir de sa genèse. Enfin, peut-être pas sa genèse initiale, qui me ferait remonter jusqu’à l’âge tendre où je vis un moucheur prendre un saumon pour la première fois (si je me rappelle bien, j’étais devant la télévision un samedi matin à regarder les ptits bonshommes et une pub de la Gaspésie m’avait donné le goût de la pêche), mais ce que j’appellerais le début des choses sérieuses en termes de résolution. L’année dernière, Maxime et moi avons pêché plus que jamais auparavant dans nos vies et c’est durant une de ces rencontres que la décision d’aller pêcher le saumon (ont dit bien ‘’aller pêcher’’ et non ‘’aller prendre’’, car il y a une forte marge entre les deux, surtout dans le cas du saumon) fut prise. Je crois bien que c’était à Gould, en revenant de la ZEC de St-Romain, que nous avions conclu de la chose. J’étais allé rejoindre Maxime pour pêcher la rivière Felton, lui qui avait festoyé la veille au Buvard. Il m’avait appelé durant la soirée, lui un peu éméché à Gould, moi un peu éméché à Dunham. Dany Laferrière serait là le lendemain pour signer des livres et discuter littérature. Dany Laferrière, le membre de l’Académie française, l’Immortel! Oh, et il y avait aussi la rivière Felton contenant des truites et des ouananiches.

C’était donc dans cette atmosphère propice aux grandes envolées lyriques que l’idée du saumon est venue à nous. La Felton était trop haute pour être pêchée et l’appel combiné d’un auteur célèbre, d’un bon pastis et d’un endroit chaud eut facilement raison de nous. Assis dehors avec une gueule que je qualifierais de semi-bois, Maxime me présenta son plan machiavélique, impliquant une rivière mythique, de la forêt vierge, l’aide inestimable de Guy Langlais et la tentative de prise d’un saumon atlantique. Nous nous quittâmes en sachant que de toutes les promesses de pêche que l’on s’était faites jusqu’à ce jour, celle-ci était la plus sérieuse de toutes : Pêcher à la mouche en Gaspésie, ou comment faire l’amour à un saumon atlantique sans se fatiguer.

Une année et quelques jours plus tard, nous étions là, à contempler la rivière Bonaventure. Je m’étais procuré une canne Orvis usagée, pas trop mal pour le prix. Elle venait avec un moulinet anglais que je qualifierais de plutôt vétuste. 9 pieds pour une soie de 9. Une bonne canne pour le saumon, m’avait-on dit. Quelques mouches noyées de chez Sexton et Sexton ornaient ma peau de mouton, accompagnées par des sèches brillamment montées par Guy. Un cours 101 sur les nœuds pour le saumon nous avait été offert par ce même Guy, sur le coin de la terrasse juste avant notre arrivée à la rivière. Nous étions parés (en termes de matériel) et désemparés (psychologiquement) devant la fosse. Des pêcheurs qui maniaient leur canne comme l’extension de leur bras effectuaient lancer après lancer avec un air partagé entre application et désinvolture. Des lancers parfaits suivis de dérives parfaites. Je ne peux pas parler pour Maxime, mais ce moment me rappela toutes les fois où je croyais être prêt pour un exposé oral, pour me rendre compte que tous ceux qui passaient avant moi étaient des brutes de préparation et de performance, que leur oral était cent fois meilleur que le mien. Intimidé?

Lancer une grosse mouche avec une grosse canne quand vous êtes habitué à déposer délicatement des Adams de 16 avec une soie de 4 peut être déstabilisant au départ et ce fut mon cas, mais il n’y avait pas que ça. Je suis habituellement un pêcheur à la truite qui arpente des ruisseaux en solitaire, prenant le temps de m’attarder pendant une heure sur une fosse prometteuse si le cœur m’en dit. Or, la pêche au saumon est une autre bête. Totalement.

Vous prenez d’abord place dans la file de pêcheurs attendant que la fosse se libère en posant votre canne sur le support prévu à cet effet. Vous discutez à voix basse avec les autres pêcheurs, échangeant d’abord les banalités d’usages, puis parlant de tout ce qui peut avoir de près ou de loin rapport avec la pêche. Vous parlez ensuite de femme, de sport, vous vous mettez à l’aise, puis vient votre tour. Vous savez que, sur la berge, tout le monde vous regarde, vous ne pouvez vous enlever de la tête qu’ils vous jugent un peu aussi. Votre lancer, vos waders, votre chemise, votre dérive et… votre moulinet anglais. Vous avez honte de sortir votre soie tellement le frein de votre outil (qui est pourtant desserré au maximum) émet un son à faire s’envoler les corneilles perchées dans les branches d’en face. C’est un bruit franc de CRRRRRRIIIIIIIIIIIIIC qui vous pénètre jusqu’au cœur. Puis, après quelques lancers, la pression retombe. Vous commencez à saisir que le poisson ne mordra probablement pas. Vous le voyez, il est tout au fond, nonchalant et un peu blasé de toutes ces mouches décrivant des arcs de cercle au-dessus de sa tête toute la journée. Vous vous dites donc que tant qu’à avoir parcouru 800 kilomètres, brûlé deux réservoirs d’essence, payé tous les frais afférents aux permis pour cette pêche, vous allez profiter de la demi-heure que dure la drop d’une fosse à saumon pour peaufiner votre lancer. Le rythme lent et apaisant de cette pêche vous fait sentir bien, tout simplement. Lancer arrière, avant, arrière, avant. La soie se dépose. Dérive. Mending. Dérive. Deux pas de côté vers l’aval. Lancer, arrière, avant, arrière, avant. Vous commencez à aimer ça.

Après cette première expérience qui nous fit l’effet d’un éveil de conscience soudain, Maxime et moi sommes retourné à notre tente avec la ferme intention d’être les premiers à la fosse le lendemain matin, samedi. Réveil réglé à 3h. Nous ne nous sommes réveillés qu’à 5h, la nuit étant beaucoup plus propice au sommeil en Gaspésie qu’ailleurs. Nous avons donc couru à la fosse, comme deux zigotos, waders à moitié enfilés, canne pas complètement montée, pour constater qu’elle était prise et avait été pêchée quelquefois déjà, ce qui est non négligeable. En effet, il est d’usage de croire qu’un saumon nouvellement arrivé dans une fosse sera plus agressif qu’un saumon déjà installé et devant qui des mouches ont déjà passées. Suis-je bête, j’ai oublié de mentionner une menue donnée concernant la pêche au saumon ; les saumons, lorsqu’ils remontent les rivières pour frayer, cessent totalement de se nourrir. Comportement illogique pour le pêcheur lambda qui ne connait pas ce poisson, mais ce comportement est en fait très logique. Le saumon ne se nourrit pas, car dans ces rivières qu’il traverse se trouvent des tacons, soit des bébés saumon qui nagent gaiement tout autour. Si le saumon mangeait en remontant vers le site de fraye, pas de doute qu’il croquerait sa progéniture au passage, ce qui constitue un comportement illogique. Alors, pourquoi le saumon mord-il? Les biologistes même ne savent pas trop de quoi la vérité est faite. S’agit-il d’un tic instinctif, ou simplement du fait que le saumon n’a pas de bras pour faire dégager les intrus qui viennent l’enquiquiner et que sa gueule est son seul moyen de préhension. S’agit-il d’autre chose? Allez savoir.

N’empêche que ce samedi matin là, aux alentours de 9h30, après une dizaine de drop dans les deux fosses près du pont, je m’engageais dans l’eau fraiche et claire de la fosse LaRoche. Alors que tout le monde pêchait à la sèche après que Maxime eu fait monter quelques fois un saumon sur sa mouche, je pris la décision totalement arbitraire de nouer une grey ghost, une noyée claire. Le soleil commençait à taper sur la fosse et j’avais dans l’esprit le vieil adage du moucheur : à jour clair, mouche claire. Après que j’eus décidé que le lancer que j’allais faire serait mon dernier avant d’enfin déjeuner, j’eus ce qu’on nomme une ‘’tirette’’. Un saumon venait de prendre ma mouche et de la relâcher, la tenant juste assez longtemps par contre pour mettre mon corps et mon âme sens dessus dessous. J’ai dû crier quelque chose à Maxime, comme d’habitude, parce que celui-ci me regardait avec un visage plein d’espoir. Je refis exactement le même lancer, la même dérive, le plus calmement du monde, pensant que j’avais eu toute l’action que daignerait me donner un saumon durant la fin de semaine, mais au même endroit de la dérive, devant la même roche (notez que la fosse s’appelle LaRoche), j’eus plus qu’une tirette et je me souviens très bien avoir crié à Maxime cette fois. J’avais un saumon au bout de la ligne.

Avec l’adrénaline d’un toréador, je réussis à ne pas tout faire foirer. Je voudrais préciser que je faisais partie de ceux qui croient qu’un moulinet n’a qu’une très faible importance dans l’art de la pêche à la mouche, servant d’étui pour la soie, simple outil inerte, passif et sans grande raison pour justifier de débourser beaucoup d’argent pour lui. Je croyais tout cela, jusqu’au moment où ce saumon tira ma soie, jusqu’au fil de garde. Marius, le pêcheur qui était plus en aval que moi sur la fosse me demanda si j’avais payé plus cher que 5$ pour ce moulinet. Je me plaisais maintenant à entendre son CRRRRRRIIIIIIIIIIIIIC d’enfer. Maxime vint brillamment enfiler le poisson dans le filet, après une trentaine de minutes de combat, quatre départs fulgurants qui m’amenèrent dans le backing et deux trois sauts dignes d’un…… d’un saumon qui se débat (oui, j’étais sans mot).

Je crois que je comprends maintenant ce qui s’est passé. J’ai eu, comme Maxime et moi nous sommes plus à répéter durant le reste du voyage et depuis, le cul béni. La rivière était basse et chaude, le soleil tapait, un pêcheur venait de pêcher exactement la même eau que moi et c’est moi, bougre de moi, qui en ferrai un. Le reste du voyage se poursuivi sur un nuage pour moi et je dois dire que dans mes moments les moins jouasses, je repense au bouillonnement, au cri du ‘’fish on!’’ nerveux que mes cordes vocales laissèrent filer et au doux CRRRRRRIIIIIIIIIIIIIC de mon moulinet à 5 piasses. Le sourire me revient toujours.


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